Portrait Ruedi Widmer Raja Läubli
28.06.2020

Entretien avec le dessinateur Ruedi Widmer: «Je veux remettre en question les prétendues certitudes»

Avec son style inimitable, le caricaturiste Ruedi Widmer pose un regard sarcastique sur le monde dans le Magazine Pro Natura depuis plusieurs années. Parfois, il brouille délibérément les pistes, comme il nous l’explique lors d’une balade.

Ruedi Widmer marche d’un bon pas. En cette chaude journée de printemps, le chemin monte à travers la forêt de l’Eschenberg, une colline très courue par les habitants de Winterthur, où Widmer a ses itinéraires de jogging et de marche préférés. Il y vient plusieurs fois par semaine pour se vider la tête et profiter de la nature. «Je travaille à l’intuition», dit le caricaturiste, «et cela va mieux quand j’ai la tête libre».

Il est l’auteur de la série «Die letzten Geheimnisse einer rationalen Welt» (Les derniers secrets d’un monde rationnel), qui paraît chaque semaine dans le Landboten, le journal de Winterthur. Ici, le dessinateur de presse, graphiste de formation, peut croquer, renverser ou exagérer comme bon lui semble la réalité qui l’entoure: dans l’épisode 666, par exemple, il pousse jusqu’à l’absurde la logique de la mise à jour incessante des programmes informatiques en proposant aussi une mise à jour de la nature: le dégradé de l’arc-en-ciel se voit rehaussé et plus d’un millier de nouvelles espèces animales sont créées.

Un style minimaliste et direct

Son style simple, qui fait parfois songer à un dessin d’enfant, n’a presque pas changé au cours des ans. Constantin Seibt, journaliste à l’hebdomadaire WOZ et cofondateur du magazine en ligne Republik, y voit le «style de la liberté». «Impatient comme il est, c’est le chemin le plus direct entre l’idée et le papier – sans exactitude parfois, sans essayer d’enjoliver ni de faire un ‘beau dessin’. Son humour est brut, direct». Ses dessins sont très minimalistes, faits à l’ordinateur avec un crayon électronique. Il en produit en moyenne un à deux par jour, qui sont publiés dans différents journaux, magazines et publications en ligne, en Suisse et à l’étranger.

Depuis onze ans, le Winterthourois publie aussi ses dessins dans le Magazine Pro Natura. «C’est une affaire de cœur», dit Widmer, qui a grandi dans le village rural de Neftenbach (ZH), dans une famille sans voiture et avec des parents passionnés de nature. «Cela m’a certainement marqué», dit-il. «La protection de l’environnement et de notre héritage naturel est très importante pour moi. En même temps, je suis passionné par la technique moderne». Il suit par exemple avec intérêt les développements de l’astronautique et de l’aéronautique.

Brouiller les pistes

Un peu plus tard, nous arrivons au parc animalier du Bruderhaus, fermé en raison du COVID-19. Le virus préoccupe Ruedi Widmer, non seulement en tant que père de deux garçons âgés de 8 et 11 ans, mais aussi dans son travail : «Les médias ne parlent plus que de ça. C’est très limitant.»
Il préfère aborder une grande variété de thèmes. Du monde des assurances au maïs génétiquement modifié, en passant par la péréquation financière, rares sont ceux qui ont échappé à son dessin satirique. Mais contrairement aux journalistes, dont la tâche est de nous aider à ordonner le monde, Widmer brouille les pistes, délibérément et avec malice. «Mon but n’est pas de créer encore plus de chaos, cela n’aurait aucun sens. J’essaie plutôt de remettre en question les prétendues certitudes et les jugements à l’emporte-pièce». Il critique aussi volontiers les mouvements de protection de l’environnement comme Extinction Rebellion ou Ecopop. «Ces groupes croient avoir trouvé des solutions toutes faites», dit Widmer, «mais cela ne fonctionne pas. Le monde est trop complexe et il évolue constamment».

Lui-même n’a pas de réponses toutes prêtes. Et se pose beaucoup de questions: jusqu’où la protection de la nature peut, et doit-elle, aller ? Quand n’est-elle plus compatible avec les intérêts fondamentaux de l’être humain? Est-elle seulement réservée aux personnes qui peuvent se l’offrir? A quelqu’un comme lui, par exemple, qui a la chance de travailler chez lui, qui a les moyens d’acheter des aliments biologiques et qui a le privilège d’habiter en Suisse – un pays qui délocalise une grande partie de ses nuisances à l’étranger? Chacun d’entre nous vit avec ce genre de contradictions», dit-il. «Avec mon travail, j’essaie de les mettre en lumière.»

Cartoon de Ruedi Widmer Ruedi Widmer
Nature sauvage dans le désert de pierre © Ruedi Widmer

Donner la parole à tout le monde

C’est en cela que réside la force des dessins de Widmer. Ils fonctionnent sans montrer du doigt les Trump, Poutine et autre Bolsonaro et les managers cupides n’y apparaissent (presque) pas. D’autres, en revanche, y reçoivent une voix: les vaches, les asperges, les policiers, les bonhommes Kinder, les automates, les couples de retraités, la neige de printemps et même les pièces de monnaie peuvent exprimer leur avis. C’est profondément démocratique – et consolant.

Nicolas Gattlen, rédacteur du Magazine Pro Natura.

Informations complémentaires

Info

Cet article a été publié dans le Pro Natura Magazine.



Le Magazine Pro Natura vous dévoile les petites merveilles de la nature, vous informe des projets sur le terrain de l’association et vous présente des personnalités captivantes. Des belles images et des offres exclusives complètent le plaisir de la lecture. Tous les membres Pro Natura le reçoivent en exclusivité cinq fois par année le magazine sur la protection de la nature en Suisse. Sur 44 pages, le Magazine Pro Natura porte un éclairage sur les dessous des décisions politiques, présente des recherches et explique la nature. Il informe où, comment et pourquoi Pro Natura lutte pour la nature.