Au cours des 30 dernières années, près de 200 000 tonnes de micro-caoutchouc se sont accumulées dans notre environnement en Suisse à cause de l’abrasion des pneus. Isabelle Bühler
03.03.2020

Microplastiques: des millions de corps étrangers à peine perceptibles

La quasi-totalité de la Suisse est polluée par des microplastiques, parfois en quantités considérables. Ce phénomène a de multiples causes, mais notre style de vie y est pour beaucoup.

Nous avons souvent tendance à penser que le problème des ­déchets plastiques se pose surtout sous d’autres latitudes. On s’imagine alors ceux qui jonchent les plages d’Asie ou qui forment des nappes gigantesques à la surface des océans. Les Suisses sont rarement conscients que ce matériau omniprésent constitue chez nous aussi une grave menace pour l’environnement. Cela n’est guère étonnant, puisqu’elle est à peine décelable à l’œil nu.

La Suisse rejette un flot de plastique

Le défi auquel nous sommes confrontés, ce sont les microplastiques, de minuscules fragments mesurant moins d’un demi-­cen­timètre et présents en énormes quantités dans le milieu ambiant. La science ne s’y intéresse que depuis peu, mais a produit des chiffres qui donnent le vertige: selon des calculs effectués sur des échantillons d’eau, le lac de Zurich contiendrait quelque 8 133 milliards de particules de plastique. On en trouve plus de 200 000 au kilomètre carré à la surface du Rhin à Bâle. Au total, le fleuve en charrie chaque année près de dix tonnes jusqu’à son embouchure dans la mer du Nord.

Fait particulièrement inquiétant, les microplastiques sont présents absolument partout. Des chercheurs de l’Université de Berne l’ont démontré dans une étude qui a fait grand bruit: ils ont analysé les sols de 29 milieux humides protégés, qui comptent parmi les biotopes aquatiques les plus précieux de Suisse. Résultat: seuls trois marécages de haute montagne situés à l’écart des zones habitées se sont révélés exempts de corps étrangers. Les autres réserves naturelles sont souvent fortement contaminées. Plus les bassins versants sont densément peuplés, plus la pollution aux plastiques est importante. Au total, près de 53 tonnes de microplastiques ont été décelées jusqu’à cinq centimètres de profondeur sous la surface du sol.

Mode jetable et rivières de plastique

Ce flot de microplastiques a diverses causes. Nombre d’entre elles sont directement liées à notre style de vie et à notre goût pour ce qu’on appelle la «fast fashion» ou mode jetable: les Suisses achètent de plus en plus de vêtements – 60 pièces par année en moyenne, ce qui pourrait bien être un record – et ils les portent toujours moins longtemps. Pour nourrir cet appétit de consommation, l’industrie recourt de façon accrue aux textiles synthétiques. Ces dérivés du pétrole sont pratiques, bon marché, disponibles en quantités massives, mais leur décomposition naturelle peut prendre des siècles. C’est loin d’être un détail, car à chaque lessive, le frottement des tissus synthétiques dans le tambour de la machine libère un énorme volume de microplastiques qui finissent dans les eaux usées. Selon les études, le nombre de particules produites par cycle de lavage est estimé à plusieurs centaines de milliers, jusqu’à six millions. Au terme d’analyses approfondies, le Laboratoire fédéral d’essai des matériaux et de recherche Empa a pu montrer que trois tonnes de fibres de polyester sont ainsi rejetées chaque année dans nos eaux.

La majeure partie d’entre elles peuvent être filtrées lors du traitement des eaux usées – près de 90 %, selon l’office zurichois chargé de l’élimination des déchets, de l’énergie, de l’approvisionnement en eau et de la qualité de l’air. Les stations d’épuration zurichoises laissent toutefois passer quotidiennement près de 30 milliards de particules de microplastique dans le réseau hydrique, ce qui équivaut à 600 grammes.

Dépôts sauvages et filtres de cigarettes

Pour dramatique qu’elle soit, la pollution des eaux n’est pas le problème principal. En Suisse, la majeure partie des déchets plastiques se déposent dans les sols. L’Empa a montré que nous y déversons plus de 95 % des 5 100 tonnes de matière plastique consommée annuellement, sous forme de microplastiques (moins de 0,5 cm) ou de macroplastiques (plus de 0,5 cm).

L’élimination inappropriée des ordures, une pratique nommée littering, en est bien évidemment responsable. Selon le Swiss Litter Report, le plastique représente 65 % des dépôts sauvages. C’est le type de déchet que l’on retrouve le plus fréquemment dans l’environnement. Sur 100 mètres carrés de sol suisse, on compte en moyenne 67 objets de rebut, et le double au bord des lacs. Les filtres de cigarettes constituent 34 % de cette masse. Le plastique se désagrège peu à peu en des milliards de particules sous l’effet des intempéries. Il faudra plusieurs décennies, voire plusieurs siècles, pour qu’il disparaisse entièrement. Durant tout ce temps, il s’amasse en corps étrangers artificiels pratiquement invisibles dans la nature.

Des quantités massives jusque dans la neige fraîche

Les scientifiques ne savent pas exactement comment les fragments de plastique pénètrent dans les sols. Les premières études parues sur le sujet confortent l’hypothèse selon laquelle elles ­seraient transportées par le vent et s’infiltreraient dans la terre avec les eaux de pluie. L’an dernier, les chercheurs du WSL ont ainsi décelé 14'000 particules de microplastique dans un litre ­de neige fraîche provenant du val de Flüela dans la région de Davos.

Laut der Materialprüfungsanstalt Empa werden jährlich  drei Tonnen Polyesterfasern von Synthetikkleidern in unsere Gewässer gespült. @ Isabelle Bühler
Selon le Laboratoire fédéral d’essai des matériaux et de recherche Empa, trois tonnes de fibres de polyester provenant de vêtements synthétiques sont rejetées chaque année dans nos eaux.

Les déchets abandonnés dans la nature ne sont pas les seuls à se décomposer sous l’influence du soleil, du vent et de l’eau: l’usure des plaques et des tuyaux de plastique utilisés dans la construction génère de grandes quantités de microparticules, de même que les peintures et les laques exposées aux intempéries. Sous l’effet du frottement, les surfaces synthétiques telles que gazons artificiels ou revêtements de places de jeu en produisent également un volume effrayant. On désigne ces fragments envahissants par l’expression générique de «poussière urbaine» (city dust en anglais).

Ironiquement, l’agriculture qui souffre des sols contaminés participe elle aussi au phénomène, avec les résidus de feuilles de plastique qui servent à protéger les plantes et à couvrir les tunnels de culture. Les restes d’aliments broyés, compostés et répandus sur les champs alors qu’ils contiennent encore des bribes d’emballages plastiques, contribuent également au problème.

C’est pourtant peu de chose en regard de la principale source d’émissions, la circulation automobile. Ces trente dernières années, l’abrasion des pneus de voitures et de camions a entraîné la dispersion de près de 200'000 tonnes de particules de caoutchouc dans notre environnement. Nos sols en reçoivent 80 %, tandis que le reste se diffuse dans les cours d’eau. On constate ici aussi l’impact de notre style de vie et de la tendance aux véhicules toujours plus imposants, qui causent davantage de frottement.

Le lobby du plastique aime à rappeler l’innocuité de ce matériau en tant que tel. Deux faits essentiels doivent lui être objectés. D’abord, les microplastiques se lient avec des substances ­dangereuses et deviennent une sorte d’aimant à toxiques. Ensuite, plusieurs produits nocifs sont ajoutés au plastique lors du ­processus de fabrication pour le colorer ou le rendre plus ­souple. Ces additifs se propagent rapidement dans l’environnement.

Des conséquences difficiles à évaluer

Les effets des microplastiques sur la flore et la faune n’ont pas encore été suffisamment étudiés. Les premiers constats, présentés dans les pages qui suivent, ne sont guère rassurants. Les conséquences sur la santé humaine restent quant à elles largement méconnues.

Mais nous pouvons déjà calculer les quantités absorbées par nos organismes. L’Université australienne de Newcastle a analysé et comparé les résultats de 50 travaux de recherche. Il en ressort que chaque personne avale en moyenne cinq grammes de microplastiques par semaine, soit l’équivalent du poids d’une carte de crédit. Les scientifiques soulignent qu’il s’agit d’une estimation prudente.

Raphael Weber, rédacteur en chef du Magazine Pro Natura.

Il en ressort que chaque personne avale en moyenne cinq grammes de microplastiques par semaine, soit l’équivalent du poids d’une carte de crédit.

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Cet article a été publié dans le Pro Natura Magazine.



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