Le caloptéryx éclatant Friedrich Böhringer
Animal de l’année

Animal de l’année 2008: le caloptéryx éclatant

Une modeste larve aquatique qui se transforme en un véritable acrobate aérien: voilà le caloptéryx éclatant. On le trouve près des ruisseaux et des rivières à courant lent, bordés de roselières ou d’aulnes. Les cours d’eau naturels offrent au caloptéryx éclatant exactement ce dont il a besoin.

Pro Natura a choisi cette élégante libellule comme animal de l’année 2008 pour rappeler à tous combien ces paysages deviennent rares dans notre pays.

Fiche signalétique

Aspect extérieur, taille:5 cm de long à peine, deux paires d’ailes identiques de 6 à 7 cm d’envergure, corps grêle, six longues pattes foncées

Couleur du corps: mâle bleu-vert chatoyant, femelle vert à bronze chatoyant

Couleur des ailes: mâle teintées de vert avec une large bande bleu foncé, femelle teintées de vert avec tache blanche à l’extrémité

Période de vol: de fin mai à septembre

Habitat: berges ensoleillées de ruisseaux et rivières à courant lent

Larve: jusqu’à plus de 3 cm de long, branchie caudale du milieu plus courte que les latérales, antenne à premier segment fort, vit dans les plantes aquatiques et racines flottantes des eaux courantes

Du sous-marin à l’hélicoptère

Le caloptéryx éclatant (Calopteryx splendens) vit près des rivières et des ruisseaux à courant lent, bien ensoleillés. Il est largement répandu en Europe, où l’on distingue deux sous-espèces, une méridionale et une septentrionale. En Suisse, la sous-espèce du nord colonise le Plateau et les vallées jusqu’à une altitude de 1100 mètres sur le versant Nord des Alpes et en Valais; la sous-espèce du sud est présente sur la plaine de Magadino au Tessin.

Dans de nombreux tronçons de ruisseaux ou de rivières, on peut rencontrer une autre espèce de caloptéryx: le caloptéryx vierge (Calopteryx virgo). Celui-ci a tendance à préférer les rivières et ruisseaux aux eaux plus rapides, froides et pauvres en éléments nutritifs, qui peuvent même être ombragés.

Stade vulnérable

En mai, quand les nuits deviennent plus chaudes, les premières larves sortent de l’eau. Sous le couvert des plantes des berges, la plupart du temps tôt le matin, commence le délicat processus qui donnera naissance à l’élégante demoiselle. Après s’être dégagée de son enveloppe, la libellule doit déplier ses ailes, qui ne forment pour l’instant qu’un triste paquet tout ratatiné. Pour ce faire, elle injecte du liquide corporel dans les veines de ses ailes. Elle procède de la même manière pour redresser son arrière-train. Une fois les ailes et le corps durcis, la créature fraîchement éclose s’élance dans les airs. Le passage de la vie aquatique à la vie aérienne est réussi.

Mais toutes leslibellules ne parviennent pas à ce stade: leur vulnérabilité est grande au cours des quelque trois heures que dure cette métamorphose. Tant que les ailes n’ont pas durci, une simple rafale de vent peut les rendre incapables de voler. Il suffit qu’une branche tombe trop près d’elles, et c’est fini. Une vague peut emporter un individu éclos trop près de la surface de l’eau, ou les oiseaux peuvent en faire leur pâture.

Un chasseur acrobate

A peine sortie de son œuf, la libellule doit partir en quête de nourriture. Mâle et femelle ont besoin de beaucoup d’énergie pour mener à terme le développement de leurs organes génitaux. Chez le caloptéryx éclatant, cette étape dure environ une semaine.

Les libellules peuvent s’éloigner de l’eau à la recherche d’endroits où les insectes pullulent, comme les prairies naturelles, bords de chemins, haies et lisières de forêts, qui constituent, à l’instar des lieux humides, d’excellents terrains de chasse. Mais pour qu’il vaille la peine de partir en patrouille de reconnaissance, il faut que les alentours des ruisseaux et des rivières comptent des endroits restés proches de l’état naturel. Le caloptéryx éclatant ne s’éloigne de toute façon pas aussi loin ni aussi longtemps des cours d’eaux que nombre d’autres espèces.

Equipé pour la chasse

Le caloptéryx est parfaitement équipé pour la chasse: avec ses deux yeux formés de milliers de facettes, représentant chacune un œil simple indépendant, il dispose d’une vue panoramique presque ininterrompue. Il est capable de repérer des mouvements très rapides, ce qui lui permet de suivre des insectes très vifs. Trois petits yeux ponctuels sur la tête lui permettent en outre de reconnaître l’horizon.

La grande mobilité de la tête augmente encore son champ de vision. Le caloptéryx peut bouger les ailes indépendamment les unes des autres, ce qui lui offre une grande liberté de mouvement. Les instruments de mastication dont sont équipées les mandibules inférieure et supérieure se complètent pour saisir et déchiqueter les proies.

Son excellente vue et sa mobilité lui servent non seulement à chasser, mais aussi à éviter de devenir lui-même une proie. Si vous désirez les approcher pour les observer ou les photographier, vous vous apercevrez vite de leur extraordinaire capacité à débusquer le plus infime mouvement. Oiseaux, poissons et grenouilles vertes essaient pourtant de les attraper. Les petites libellules doivent aussi se méfier de leurs grandes sœurs, ainsi que des araignées et de leurs toiles.

Dépendantes du soleil

Le soir, lorsque la température de l’air descend, le corps du caloptéryx se refroidit, ce qui lui fait perdre sa mobilité. L’acrobate des airs est alors obligé d’attendre que le soleil le requinque en un lieu de repos, sous le couvert d’une végétation dense. Cette retraite peut se trouver dans le rayon élargi du territoire de chasse aux abords d’un cours d’eau, ou directement vers l’eau. Les caloptéryx éclatants se plaisent bien dans les buissons des berges, les roselières et les broussailles de ronces non fauchées.

Si le temps reste frais et pluvieux pendant une longue période, la situation devient critique pour ces animaux à sang froid: leur corps n’arrive pas à atteindre une température suffisante pour la chasse. Sans apport d’énergie nouvelle, les caloptéryx survivent au maximum une semaine. Ils deviennent également une proie facile pour les oiseaux. On peut observer des caloptéryx éclatants de mai jusqu’en septembre, mais la plupart des individus ne vivent à l’état d’insecte ailé que quelques jours, quelques semaines dans le meilleur des cas.

Conquête d’un territoire

Une fois parvenus à la maturité sexuelle, le mâle et la femelle du caloptéryx éclatant cherchent un territoire convenant à la reproduction. Cela peut être l’endroit où ils sont nés, ou un cours d’eau à proximité; ruisseau ou rivière, c’est égal, pourvu que le courant soit modéré et l’eau pas trop froide: sa température doit se situer entre 18 et 24°C pour que leur progéniture se développe bien. L’endroit idéal aura suffisamment de plantes aquatiques, ainsi que des roseaux et des buissons sur les berges, sans que cette végétation soit trop dense, afin d’assurer un ensoleillement suffisant au lieu de reproduction.

Cours naturel plébiscité

Pour le caloptéryx éclatant, l’endroit idéal se situe le long du cours moyen ou inférieur des cours d’eau naturels. Il ne peut coloniser nos cours d’eau canalisés du Plateau qu’aux endroits où un état proche des conditions naturelles a pu se développer. Une végétation diversifiée dans les alentours doit garantir une bonne population d’insectes qui lui servira de nourriture.
L’Aar en amont de Soleure offre par exemple ces conditions: son cours sinueux est de faible courant, et l’eau, qui sort du lac de Bienne, est chaude. Il en résulte une abondance de plantes aquatiques, qui forment de grands tapis ça et là, lesquels attirent les libellules – dont le caloptéryx éclatant – qui y déposent leurs œufs.

Manœuvres aériennes

Le mâle de caloptéryx éclatant revendique un territoire à lui dans le lieu de reproduction. Cette petite surface d’eau avec plantes aquatiques sera défendue avec détermination par son propriétaire contre toute intrusion d’un rival potentiel. Le combattant se bat avec force manœuvres aériennes et ses ailes à bandes foncées servent de signal de menace. Il part à l’assaut de ses adversaires en s’agitant en tous sens afin de faire étalage du plus de couleur possible, n’hésitant pas à se contenter à certains moments d’une paire d’ailes pour voler, l’autre paire servant de pavillon guerrier. Si cette parade d’intimidation ne suffit pas, il peut aller jusqu’à attaquer l’ennemi de front.

Le but de la manœuvre est bien sûr d’attirer une femelle avec une place de premier choix près de l’eau. Pour arriver à ses fins, le mâle va de nouveau se servir de ses ailes, mais cette fois-ci, la technique de vol est toute autre: le prétendant va se mettre à agiter ses ailes à un rythme frénétique et saccadé, et non plus lent comme précédemment. Il se rapproche de la femelle par la voie des airs en bourdonnant comme un hélicoptère, et pour bien s’identifier, relève haut son abdomen afin de montrer sa tache colorée d’un blanc tirant sur le jaune. La fréquence des battements d’ailes et la «lanterne», comme on nomme cette tache abdominale, sont spécifiques à l’espèce, et aident les partenaires de la même espèce à se reconnaître. La tache du caloptéryx vierge est rose, par exemple.

Prête à la ponte

Le mâle se pose sur les ailes de la femelle, puis se recourbe pour accrocher sa partenaire au cou avec la pince située à l’extrémité de son abdomen. Il courbe encore plus son corps mince et expédie un paquet rempli de sperme depuis l’extrémité de son abdomen dans une ouverture située derrière sa poitrine. La femelle introduit alors l’extrémité de son abdomen dans cette ouverture pour prendre livraison du sperme.
Pour pondre ses œufs, la femelle – chose étonnante – plonge son corps dans l’eau et, en quelques secondes, perce pour chaque œuf un trou dans le tissu des plantes flottantes.

Une croissance aquatique

Quelques semaines après la ponte, les larves éclosent et cherchent dans la jungle des plantes aquatiques un endroit favorable qu’elles vont défendre contre l’invasion d’autres larves. Elles guettent leurs proies nichées dans les tapis de plantes aquatiques, potamots ou renoncules flottantes, ou dans l’enchevêtrement de fines racines d’aulnes et de saules. Les laves mangent tout ce qu’elles peuvent attraper et maîtriser: petits crustacés, larves de moustiques, etc.

La larve du caloptéryx éclatant a besoin de courant, qui permet une meilleure oxygénation de l’eau. Elle absorbe l’oxygène par la peau et trois petites branchies situées à l’extrémité de son corps. Si le courant est trop faible ou l’eau trop chaude, l’animal agite ses branchies et se trémousse pour augmenter l’échange gazeux.

La larve du caloptéryx éclatant, contrairement à beaucoup de larves de libellules, supporte une certaine pollution. Mais si cela devient trop sale et mal oxygéné, elle périt, car elle est incapable de chercher activement un nouvel habitat disposant d’une eau de meilleure qualité.

Croissance par mues

La larve grandit tout au long de l’été suivant ou celui de l’année d’après. La rapidité de son développement dépend de la température de l’eau et de l’offre en nourriture. Dotée d’un épiderme rigide empêchant une croissance continue, la larve doit passer par six mues successives, à chaque fois plus grande et plus proche du stade larvaire final.
Après les premières mues déjà, des ébauches d’ailes apparaissent, qui grandissent à chaque changement de peau. Comme pour toutes les libellules, le développement du caloptéryx diffère de celui des papillons: ceux-ci se transforment en insectes volants au cours d’un stade de chrysalide, alors que chez les libellules cette transformation se fait par étapes tout au long de la vie larvaire.

Peu de temps avant que la larve quitte l’eau, le point culminant de la transformation s’annonce: l’animal cesse de manger, les fourreaux des ailes gonflent, les contours des yeux commencent à se dessiner. De temps en temps, la larve se hisse jusqu’à l’air libre, ce qui montre que le passage de la respiration aquatique à la respiration aérienne est en cours. La longue période de développement dans l’eau touche à sa fin. Le cycle recommence: un caloptéryx éclatant commence sa vie aérienne, courte mais intense.

Informations complémentaires

Info

© Friedrich Böhringer; https://commons.wikimedia.org

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