Glacier d'Aletsch Claudio Büttler
17.05.2021 Crise climatique

Entretien avec Simonetta Sommaruga: «La décennie qui commence sera déterminante»

En matière de protection du climat, il est essentiel de fixer le bon cap dès maintenant, déclare la ministre de l’Environnement Simonetta Sommaruga. C’est pourquoi elle recommande, au nom du Conseil fédéral, d’accepter la Loi sur le CO2.

Magazine Pro Natura: en cette année difficile marquée par le Covid-19, on a exigé des jeunes qu’ils fassent preuve de solidarité vis-à-vis de leurs aînés. Peut-on attendre de ceux-ci qu’ils se montrent aussi solidaires en ce qui concerne la politique climatique et la Loi sur le CO2?

Simonetta Sommaruga: un climat sain est essentiel pour toutes et tous, jeunes et plus âgés. La protection du climat ne peut que pâtir d’un conflit entre les générations. C’est particulièrement vrai dans la situation de pandémie actuelle, qui nous demande effectivement beaucoup. Avec la révision de la Loi sur le CO2, tout le monde est gagnant : on favorise la création d’emplois dans les branches économiques qui participent à la sauvegarde du climat, et on récompense celles et ceux qui produisent moins de CO2 pour se chauffer et se déplacer. Nous allons désormais prélever une taxe sur les billets d’avion qui bénéficiera aux personnes qui ne prennent pas ou peu l’avion. Elle servira aussi à financer des trains de nuit moins nocifs pour l’environnement, appréciés des voyageurs de tous âges. Cette loi profite donc aux êtres humains et à la nature.

Quelques représentants des jeunes qui s’engagent en faveur du climat critiquent cette loi, au motif qu’elle n’irait pas assez loin pour être efficace. Que leur répondez-vous?

Je souhaite moi aussi que les choses avancent en matière de protection du climat. Mais dire non ne servira pas la cause de ceux qui militent pour des changements plus rapides et plus substantiels, au contraire. Les gagnants seront ceux qui veulent continuer à vendre le plus de pétrole possible. Pour la protection du climat, ce serait un grand pas en arrière. C’est pourquoi nous devons fixer dès aujourd’hui le bon cap et continuer à réduire drastiquement nos émissions de gaz à effet de serre. C’est possible avec cette loi. La décennie qui commence sera déterminante. Et après 2030, nous poursuivrons nos efforts. En matière de protection du climat, nous sommes encore loin du but. Mais je suis confiante : la protection du climat et de la nature deviendra de plus en plus importante pour la population, notamment grâce à l’engagement des organisations de protection de l’environnement.

Et que rétorquez-vous au lobby pétrolier, qui juge superflues la plupart des mesures de protection du climat?

L’ère du pétrole, du gaz et du charbon touche à sa fin. Les véhicules électriques gagnent des parts de marché, les pompes à chaleur et les panneaux solaires remplacent les chaudières au mazout et au gaz ; les entreprises suisses participent depuis longtemps au mouvement de sortie des énergies fossiles. L’industrie du pétrole le sait et lutte pour sa survie. Durant la décennie écoulée, nous avons importé pour plus de 80 milliards de francs de pétrole et de gaz. La loi permettra d’investir cet argent en Suisse pour un avenir décarboné, par exemple dans des bus électriques pour les transports publics et des bornes de recharge pour les voitures électriques.

Ne devons-nous pas aussi être solidaires des régions du monde qui ont peu contribué au changement climatique, mais en supportent aujourd’hui le plus nettement les conséquences?

Oui, la Suisse assume ici une responsabilité, car comme les autres nations industrialisées, notre pays participe depuis près de 150 ans au changement climatique. Les régions pauvres sont durement touchées. Avant d’être Conseillère fédérale, j’ai présidé l’organisation d’aide au développement Swissaid, et j’ai vu en Afrique comment le changement climatique cause des sécheresses, puis de mauvaises récoltes, ce qui engendre ensuite des conflits et des famines. La Suisse cherche à contrecarrer cet engrenage fatal et soutient chaque année, à hauteur de 450 à 600 millions de dollars US, des mesures pour la protection du climat dans les pays en développement.

A quoi remarquez-vous personnellement que le climat se réchauffe et qu’il est urgent d’agir?

Comme beaucoup de monde, je supporte mal les fortes chaleurs et le temps lourd et étouffant. En été, j’apprécie donc particulièrement la montagne. Mais c’est justement en altitude que le dérèglement climatique est le plus visible. Les glaciers fondent, le permafrost dégèle, les pentes deviennent instables. En Suisse, les températures augmentent deux fois plus qu’en moyenne mondiale. Si cela continue, la faune va elle aussi souffrir : une étude commandée par la Confédération a montré récemment que l’eau des ruisseaux et des rivières pourrait devenir tellement chaude en été que les poissons ne survivraient pas, car ils ne vivent qu’en eau froide. Les petits cours d’eau risquent de s’assécher et de disparaître. Nous avons encore la possibilité de freiner cette évolution et de protéger la biodiversité. En disant oui à la Loi sur le CO2 révisée, nous faisons un pas important dans la bonne direction.

Interview : Raphael Weber, rédacteur en chef du Magazine Pro Natura

Simonetta Sommaruga Beat Mumenthaler
Conseillère fédérale Simonetta Sommaruga

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Cet article a été publié dans le Pro Natura Magazine.



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