Réserve naturelle d'Auried Bastien Amez-Droz
20.10.2021 Crise de la biodiversité

La Suisse a besoin d’une offensive en faveur de la biodiversité

Selon le mode de comptabilisation, la nature en Suisse n’est prioritaire que sur 6 à 14 % du territoire national. C’est bien trop peu selon Pro Natura, qui s’engage en faveur de l’Initiative biodiversité avec ses organisations partenaires.

L’un des objectifs centraux de l’Initiative biodiversité est de garantir davantage de surfaces en faveur de la biodiversité. En effet, la Suisse ne dispose actuellement pas de surfaces suffisantes pour ralentir le déclin de la diversité biologique. 

Jusqu’ici, la nature n’a été privilégiée que sur une petite partie du territoire suisse: elle ne bénéficie d’une protection juridique complète que sur 5,9% de la superficie du pays. Cette surface comprend les zones protégées à l’échelon national avec le Parc national suisse et la zone centrale des parcs naturels périurbains (0,4%) ainsi que les biotopes d’importance nationale (2,2%). S’y ajoutent les zones de protection de la nature cantonales, régionales et locales, qui représentent 3,3%, y compris les reserves forestières des cantons. 

Les districts francs (3,65% du territoire national) et les réserves d’oiseaux d’eau et migrateurs (0,55%) bénéficient d’une protection moins stricte. Si l’on tient également compte de ces derniers, les aires protégées représentent environ 10% du territoire national. 

L’Office fédéral de l’environnement (OFEV) va encore plus loin et mentionne deux autres catégories de surfaces protégées: il s’agit d’une part d’aires protégées d’importance internationale (1%, ce sont les sites Emeraude et Ramsar). Ces sites sont pris en considération mais ne sont pas protégés par la loi suisse. D’autre part, l’OFEV mentionne également les surfaces de promotion de la biodiversité dans l’agriculture correspondant à un niveau de qualité 2 (2,7%). Ces dernières ne peuvent pas réellement être considérées comme des surfaces protégées, car leur protection n’est pas garantie à long terme. 

Lanterne rouge européenne

Même en incluant les catégories de surface qui ne répondent pas aux critères de protection dans le calcul global, l’ensemble des aires protégées de Suisse, qui ont pour but de promouvoir la biodiversité, représentent moins de 14% de la surface du pays. Cela fait de la Suisse l’un des pays ayant le plus faible pourcentage de zones protégées en Europe. 

L’Initiative biodiversité exige donc que la Suisse garantisse les surfaces nécessaires à la conservation de la biodiversité. Elle ne mentionne pas d’objectif concret en termes de superficie. Et ce, pour deux raisons: 

  • La Constitution fédérale, qui serait modifiée en conséquence en cas d’adoption de l’initiative, définit des objectifs à long terme et les objectifs généraux de la Confédération. Les lois et les ordonnances sont là pour régler le détail des directives. Un objectif de surface n’aurait donc pas sa place dans la Constitution.
  • De plus, il n’existe toujours pas de base scientifique permettant de définir la superficie nécessaire à la sauvegarde de la biodiversité. Pour remédier à cette lacune, l’OFEV a mandaté l’organisation Infospecies qui planche sur la question actuellement. 

L’objectif «30 by 30»

Selon une étude réalisée en 2013 par l’Académie suisse des sciences naturelles, la conservation et la promotion de la biodiversité devraient être prioritaires sur près d’un tiers du territoire. Un bon 30%: c’est précisément ce que les experts réclament sur le plan international également. Dans le cadre des négociations autour de la Convention sur la biodiversité et du nouveau cadre mondial pour la biodiversité pour après 2020, 60 pays de six continents – dont la Suisse – se sont regroupés pour former la «High Ambition Coalition for Nature and People» (HAC). Leur objectif est de protéger 30% des terres et des océans d’ici à 2030 («30 by 30»). La HAC a vu le jour à l’initiative des présidents de la France et du Costa Rica.  

Récemment, le Conseil fédéral a officiellement approuvé le mandat de négociation de la délégation suisse à la Conférence sur la biodiversité. La délégation suisse veut plaider en faveur d’objec­tifs ambitieux, mesurables et concrets, dont le «30 by 30». Selon les déclarations du Conseil fédéral, cela nécessite non seulement la désignation d’aires protégées, mais aussi des mesures supplémentaires: la revitalisation de cours d’eau, la préservation et la promotion de zones précieuses pour la biodiversité, ainsi que la préservation et la création de sites servant à relier les habitats d’animaux sauvages. Exactement ce que demande l’Initiative
biodiversité. 

Un contre-projet avec des objectifs insuffisants

Dans ce contexte, il est incompréhensible que le Conseil fédéral, dans son contre-projet à l’Initiative biodiversité, veuille réserver seulement 17% du territoire national à la biodiversité – un objec­tif que la Suisse s’est déjà engagée à mettre en œuvre d’ici à 2020 dans le cadre de la Convention sur la diversité biologique. Il s’agirait donc d’ancrer pour les décennies à venir un objectif déjà dépassé, de surcroît jamais atteint, dans notre Loi sur la protection de la nature et du paysage. Est-ce vraiment une politique cohérente en matière de biodiversité? 

La consultation sur le contre-projet indirect à l’Initiative biodiversité a pris fin le 9 juillet. L’association de soutien, composée de Pro Natura, BirdLife Suisse, Patrimoine suisse, la Fondation suisse pour la protection du paysage et d’autres organisations, a pris position à ce sujet. Le Conseil fédéral a jusqu’au printemps 2022 pour examiner et analyser les prises de position. Il devra ensuite soumettre au Parlement le contre-projet indirect révisé, avec son message. Les débats parlementaires qui suivront montreront dans quelle direction le contre-projet va évoluer. C’est seulement ensuite qu’on saura si l’Initiative biodiversité peut être retirée ou si une votation populaire est nécessaire.

SIMONA KOBEL est responsable de l’Initiative biodiversité

Nationalpark
Initiative biodiversité
L’Initiative biodiversité garantit la diversité de la nature, des paysages et du patrimoine bâti. À cette fin, elle demande plus d’argent et d’espace pour la biodiversité, et ancre une protection plus forte du patrimoine paysager et architectural dans la Constitution.

Informations complémentaires

Info

Cet article a été publié dans le Pro Natura Magazine.



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