Chaumes de colza: on voit bien la terre brune et dépourvue de toute autre plante entre les chaumes Pro Natura
24.08.2020

Nouvelle étude: dépenser de l’argent pour réduire la diversité des espèces?

La Suisse distribue des milliards chaque année pour soutenir, entre autres, l’agriculture, la production d’électricité et les projets d’infrastructure. Le problème: sur cet argent dépensé, 40 milliards de francs portent atteinte à la nature, voire la détruisent. Il faut que cela change, et vite!

L’agriculteur·trice reçoit de l’argent pour cultiver ses champs, la construction de routes est financée par les redevances sur le trafic et la centrale hydroélectrique est rémunérée pour la production d’électricité. Afin de soutenir ces prestations, l’État aide les producteur·trice·s et les consommateur·trice·s avec des subventions.

160 subventions portent atteinte à la biodiversité

On le sait depuis longtemps, ces moyens financiers peuvent causer de grands dommages à la nature et à la biodiversité. La nouvelle étude «Subventions dommageables à la biodiversité en Suisse», soutenue par Pro Natura, identifie pour la première fois, tous secteurs confondus, 160 subventions portant atteinte à notre biodiversité.

Le paradoxe, c’est qu’environ 40 milliards de francs sont dépensés pour des subventions aussi néfastes alors que la Confédération refuse de consacrer plus d’une part infime de ce montant à la protection de notre biodiversité. En d’autres termes, on ne dispose que d’un tout petit budget pour tenter de réparer les dommages causés par des flux d’argent beaucoup plus importants.
 

Infographie: un magot pour l’économie et un lot de consolation pour la nature…

Infographie avec deux sacs d’argent: 40 milliards de francs de subventions dommageables à la biodiversité et 518 millions de francs pour protéger la biodiversité Pro Natura
La Suisse dépense au moins 518 millions de francs pour la biodiversité. Vous trouverez une liste détaillée des dépenses dans l’étude (p. 20, en allemand).

Qu’est-ce qu’une subvention? Et quand nuit-elle à la biodiversité?

Il existe en Suisse différents types de subventions et d’incitations financières inopportunes:

  • Paiements: des fonds publics sont affectés à des prestations. Ex.: les «contributions à la sécurité d’approvisionnement» dans l’agriculture. Une contribution de base par hectare cultivé soutient les exploitations dans leur travail.
  • Abandon de recettes fiscales: les carburants pour avions, par exemple, sont exonérés de la taxe sur les huiles minérales pour les vols internationaux.
  • Prise en charge des coûts: si une trop grande quantité de phosphore se retrouve dans un lac et que ce dernier doit être aéré artificiellement afin de pallier un manque d’oxygène, par exemple, l’intervention est payée par les communes, le canton et la Confédération – en fin de compte avec l’argent des impôts.
  • Incitations financières inopportunes: certains fonds, comme la majeure partie des recettes provenant des redevances sur le trafic, ne peuvent être utilisés que pour la construction et l’entretien des routes, même si des dépenses dans d’autres domaines profiteraient peut-être davantage à la population.

Ces différents types d’aide, qui sont identifiés dans l’étude, donnent lieu à de mauvaises incitations en empêchant l’abandon de pratiques ou de technologies obsolètes et nuisibles à l’environnement. Résultat: on consomme trop de ressources naturelles, on pollue l’environnement et on détruit la biodiversité.

Bien sûr, toutes les subventions ne causent pas le même degré de dommage – selon leur type et leur mise en œuvre, leurs conséquences pour la nature sont plus ou moins graves. Il est donc essentiel que la biodiversité devienne un critère important lors de l’examen des subventions à l’avenir!

Exemple des contributions de base pour l’agriculture

Les contributions de base pour la sécurité d’approvisionnement ont pour but d’assurer l’approvisionnement de la Suisse en denrées alimentaires. Pour chaque hectare de prairie ou de pâturage (dans le jargon, les surfaces herbagères), l’exploitation agricole reçoit une subvention de 900 francs. Cet argent n’est lié à aucune condition favorable à la promotion de la biodiversité. La contribution de base pour les surfaces herbagères est en outre rattachée à un nombre minimum d’«animaux de rente consommant des fourrages grossiers», c’est-à-dire de vaches, de moutons ou de chèvres. Si l’on élève moins d’animaux sur une surface, on reçoit des contributions de base proportionnellement moins élevées.

L’étude «Subventions dommageables à la biodiversité en Suisse» décrit cette subvention comme partiellement nuisible car elle incite les exploitations agricoles à exploiter leurs surfaces herbagères de manière plus intensive et à élever plus d’animaux que la nature ne peut en supporter sans en payer le prix. Des ajustements sont néanmoins déjà prévus dans ce domaine pour la politique agricole 22+, tels que la suppression du nombre minimum d’animaux.

En savoir plus sur la vision de Pro Natura et sur l’agriculture

Grüne Wiese am Waldrand Matthias Sorg
Les surfaces herbagères sont subventionnées sans conditions favorables à la promotion de la biodiversité.

Exemple des apports d’azote dans les eaux, l’air et le sol

Depuis le XXe siècle, on utilise de l’azote artificiel pour l’agriculture intensive. On peut épandre sur les champs cet engrais bon marché. Avec des conséquences fatales: lorsque cet engrais pénètre dans les eaux, il fertilise également l’eau et les plantes aquatiques se mettent à proliférer.

Plus de plantes ont besoin de plus d’oxygène: il ne reste rien pour les autres organismes aquatiques tels que les poissons, les amphibiens ou les larves d’insectes, qui finissent par étouffer.

L’ammoniac, un produit de dégradation de l’azote, peut également mettre en danger des milieux naturels tels que les sites marécageux. Et l’oxyde nitreux, produit lorsque l’azote est décomposé dans le sol, est un gaz à effet de serre qui réchauffe notre climat.

Ces conséquences démontrent clairement que le système d’incitation doit être repensé. Il faut réglementer l’utilisation des engrais, reconsidérer les systèmes d’incitation dans l’agriculture et ne pas désavantager financièrement les agriculteur·trice·s qui ménagent leurs sols en utilisant moins d’engrais et en élevant moins d’animaux.

En savoir plus sur l’azote: un élixir de vie devenu poison mortel pour la biodiversité

Traktor fährt auf der Strasse und spritzt Gülle Matthias Sorg
L’utilisation modérée de lisier est une aide précieuse dans l’agriculture. Mais de nombreuses exploitations agricoles utilisent en plus des engrais artificiels, avec des conséquences fatales pour la nature.

Exemple des centrales hydroélectriques: peu d’électricité et des dommages élevés

Dans le cas des nouvelles centrales hydroélectriques, les dommages causés à la nature sont souvent disproportionnés par rapport aux bénéfices. Presque tous les cours d’eau du pays sont aujourd’hui altérés par la production d’électricité – même si les kilowattheures produits ne valent souvent pas les dépenses consenties ni les dommages écologiques.

En effet, pour chaque centrale hydroélectrique, la nature au sein du cours d’eau et parfois tout autour est gravement altérée. Le captage retire sa vitalité au cours d’eau, les barrages transforment les rivières en lacs et la production à la demande à partir de barrages modifie considérablement le débit naturel des cours d’eau. Des œufs pondus par un insecte ou un poisson en période de crue peuvent tout à fait se retrouver hors de l’eau et se dégrader. De plus, le débit résiduel qui ne peut pas être utilisé pour la production d’électricité est si faible que, dans de nombreux cas, il ne reste qu’un filet dans le lit de l’ancienne rivière – et parfois même plus d’eau du tout. Les incitations à développer davantage l’hydroélectricité sont très dommageables à la biodiversité.

En savoir plus sur l’hydroélectricité et Pro Natura

Wasserfassung im Val Cama Matthias Sorg
Prise d’eau dans le Val Cama: il n’y a guère de rivière en Suisse qui ne soit utilisée pour l’énergie hydroélectrique .

Subventions: un tournant est nécessaire

Ce que demande notamment l’étude:

  • Toutes les subventions accordées dans le cadre des différentes politiques sectorielles doivent faire l’objet d’un examen périodique de leur impact sur la biodiversité – et ce au niveau fédéral, cantonal et communal.
  • Les subventions doivent être limitées dans le temps: de cette façon, les motifs et les conditions peuvent être revus et ajustés lors d’une réattribution.
  • Les subventions nuisant à la biodiversité doivent être supprimées, réduites ou restructurées. Les subventions représentent souvent des sources de revenu importantes et leur suppression entraînerait des difficultés particulières pour les bénéficiaires. Dans nombre de ces cas, elles peuvent être restructurées de sorte à préserver la biodiversité. Lorsque les dommages causés à la biodiversité sont persistants, des sanctions doivent pouvoir être imposées.
  • Lorsque des subventions sont versées, la biodiversité doit être un facteur important pour contrôler la répartition des fonds. Les pratiques encourageant l’extinction des espèces ne doivent pas en plus être encouragées financièrement.
  • Là où la diversité des espèces est affaiblie, il faut prévoir des incitations pour celles et ceux qui renforcent la biodiversité. Par exemple, il faudrait beaucoup plus d’argent que les sommes actuellement disponibles pour promouvoir l’assainissement écologique de l’énergie hydroélectrique, comme le prévoit la loi.

Une liste complète des revendications se trouve dans le factsheet de l’étude.

Informations complémentaires

Info

La photo ci-dessus montre un champ de colza récolté en juillet. Comme mesure de soutien du marché, la Confédération verse pour ce colza une contribution aux cultures particulières de 700 francs par hectare (2020). Cette subvention n’est assortie d’aucune condition écologique (voir la subvention 53 dans le tableau des subventions). On pourrait réduire significativement l’utilisation d’herbicides en rendant obligatoire le sous-ensemencement du colza. Les plantes à faible croissance semées avec le colza empêchent les mauvaises herbes de pousser, ce qui rend l’utilisation de désherbants inutile.