Hangar à volailles sur une surface agricole dans le canton de Fribourg. Conforme ou non à la zone? Matthias Sorg
08.03.2023 Aménagement du territoire

La disparition des terres en quatre chiffres

Pourquoi les surfaces agricoles diminuent à vue d’oeil

37 %, 600 000 bâtiments, 70 mètres carrés, 2 000 constructions. Quatre chiffres des Offices fédéraux du développement territorial et de la statistique qui résument la disparition des terres arables à l’extérieur de la zone à bâtir en Suisse. Nous allons y revenir. Mais disons-le d’emblée, nous ne devrions pas avoir à en passer par cette salade de chiffres. Car les choses sont au fond très simples.

En Suisse, il n’est possible d’asphalter, de bétonner et de construire que dans certaines zones bien précises, les zones constructibles. Le premier article de la loi fédérale sur l’aménagement du territoire (LAT) l’énonce clairement: «La Confédération, les cantons et les communes veillent à une utilisation mesurée du sol et à la séparation entre les parties constructibles et non constructibles du territoire.»

Vivre à l’extérieur des zones à bâtir

Cette utilisation mesurée du sol est particulièrement importante en Suisse, où le sol constitue une ressource rare, donc précieuse. Sur plus de la moitié de sa superficie, notre territoire est soit recouvert d’eau ou de glaciers, soit trop rocheux ou trop boisé pour se prêter à l’habitat, à l’agriculture ou aux activités économiques en général. L’autre moitié – pas tout à fait 50 % – comprend à son tour deux parties. Dans la plus vaste, on pratique l’agriculture: on cultive les champs, on élève des porcs et des volailles entre autres. Les constructions n’y sont autorisées qu’à des conditions bien précises et doivent remplir des exigences très strictes. C’est du moins ce que dit la loi.

Les surfaces restantes accueillent les maisons, les bureaux, les industries, les piscines, les routes, les ponts, les places de jeu, etc. – autrement dit le milieu bâti. Mais attention. Contrairement à ce que laisserait penser la loi sur l’aménagement du territoire, le milieu bâti et les zones à bâtir ne sont pas identiques. Car, et c’est ici qu’intervient notre premier chiffre, 37 % des surfaces d’habitat et d’infrastructures de Suisse se situent en dehors de la zone à bâtir. Il s’agit le plus souvent de routes et de chemins. Mais, deuxième chiffre, on recense aussi hors zone à bâtir 600 000 bâtiments, dont 200 000 servent au logement. Le nombre de ceux qui servent à l’agriculture n’est pas recensé. Si la plupart de ces constructions datent d’avant 1972, avant que la séparation entre zone à bâtir et zone agricole entre en vigueur, il en apparaît constamment de nouvelles. Cette évolution tient aussi à la mutation structurelle de l’agriculture, qui conduit à la désaffectation d’un nombre croissant de bâtiments agricoles.

Bon an mal an, près de 1500 fermes perdent leur fonction, avec leurs logements, leurs étables, leurs granges et leurs hangars. Plus nécessaires pour l’agriculture, mais attrayants comme résidence principale ou secondaire.

Les «dévoreurs» de terres agricoles

Du côté des surfaces d’habitat et d’infrastructures, l’évolution est parlante: entre 1985 et 2018, elles ont augmenté d’un tiers. Dans le même temps, les surfaces utilisées à des fins agricoles ont diminué de plus d’un tiers. Ce qu’illustre notre troisième chiffre: la Suisse perd 70 mètres carrés de terre agricole par minute. En altitude, ces terrains retournent à la forêt, en plaine, ils sont sacrifiés à l’urbanisation, mais l’agriculture elle-même en grignote aussi sa part: alors que l’augmentation des surfaces d’habitation en dehors de la zone à bâtir s’est légèrement ralentie ces dernières années, celle des bâtiments agricoles s’est intensifiée.

On a assisté ces trente-cinq dernières années à une véritable flambée des constructions hors de la zone à bâtir. Quelque 2000 nouvelles constructions y voient le jour chaque année – au détriment des terres agricoles. Si, en plus, des étables désaffectées sont transformées en maisons de vacances au lieu d’être démolies, le préjudice est double, car il faut relier ces bâtiments aux infrastructures. D’où davantage de routes, et un paysage toujours plus morcelé.

La faune en souffre tout particulièrement, avec la dégradation des corridors écologiques suprarégionaux. À l’heure actuelle, seul un tiers des grands axes de migration sont encore intacts, 16 % sont même complètement interrompus. C’est sur cette situation que veut agir l’Initiative paysage: les surfaces construites hors zones à bâtir doivent à tout prix cesser d’augmenter, car les terres agricoles sont trop précieuses pour disparaître sous le béton.

Encore quelques chiffres

  • 8 % de la Suisse est constitué de surfaces urbanisées
  • 36 % sont des terres agricoles
  • 30 % est constitué de surfaces cultivées (dont 90 % de forêt)
  • 25 % sont des surfaces improductives (45 % de roches / éboulis sans végétation, 28 % de végétation improductive, 17 % d’eaux, 10 % de glaciers / névés)

Aujourd’hui, 119 000 hectares ou 37 % de la surface urbanisée se trouvent hors de la zone à bâtir, dont:

  • 64 000 hectares pour les transports. Tendance : en légère hausse
  • 38 000 hectares pour les bâtiments, y compris terrains attenants. Tendance: en hausse
  • 9 000 hectares de surfaces spéciales liées à l’habitat et aux infrastructures (décharges, etc.). Tendance: en légère baisse
  • 8 000 hectares de surfaces dédiées aux loisirs et aux espaces verts. Tendance: en légère hausse

Les surfaces imperméabilisées ont augmenté de 40 % entre 1985 et 2018, en raison de l’augmentation des surfaces pour l’habitat et les voies de communication, et aussi de la mutation structurelle de l’agriculture.

BETTINA EPPER, Redaktionsleiterin Pro Natura Magazin.

Blick von den Aiguilles de Baulmes Richtung Moudon Matthias Sorg
Vue depuis les Aiguilles de Baulmes en direction de Moudon

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Cet article a été publié dans le Magazine Pro Natura.

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