Blé Matthias Sorg
19.05.2023 Agriculture

La «politique de l’escargot» met en péril nos bases alimentaires

Face à l’urgence, la politique agricole suisse aborde toujours les défis dans le domaine du climat et de l’environnement de manière beaucoup trop frileuse. Néanmoins, les premiers signaux d’un changement de mentalité apparaissent.

La science et les autorités fédérales ne sont pas connues pour faire preuve d’alarmisme. Au contraire. Elles se tiennent plutôt en retrait, pèsent le pour et le contre et s’efforcent de ne pas faire de vagues. Du moins jusqu’ici. Le contexte est en train de changer. Les résultats des recherches sur la crise de la biodiversité et du climat indiquent avec une absolue clarté qu’il faut agir dans les plus brefs délais et soulignent l’urgence des problèmes. Un exemple? Le 20 mars 2023, Météo Suisse écrit sans ambages dans son blog sur le nouveau rapport de synthèse du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat: «Les décisions que nous prendrons au cours de la décennie actuelle auront des conséquences pour des milliers d’années.» Et le rapport du Scientific Expert Panel, qui réunit plus de 40 spécialistes, fixe des objectifs de réduction clairs pour l’agriculture. A mettre en œuvre non pas un jour ou l’autre mais d’ici 2030!

L’avenir de l’alimentation en Suisse

En 2015, la Suisse s’est engagée à contribuer à la réalisation des objectifs de développement durable de l’ONU (« Sustainable Development Goals, SDG ») d’ici 2030. Si la Suisse veut y parvenir, elle doit modifier son système alimentaire en profondeur. En effet, l’alimentation vient avant le logement et la mobilité en termes d’impact environnemental. C’est pourquoi il faut de nouvelles recettes – de la production à la consommation – tout au long de la chaîne de création de valeur. Comme notre alimentation est fortement liée aux traditions et aux habitudes, il faut non seulement des mesures au niveau politique, mais aussi un dialogue social sur notre comportement individuel. Le Comité scientifique « Avenir alimentaire suisse » fournit une orientation claire pour exploiter l’important potentiel de la Suisse dans ce domaine. Ce panel largement représentatif réunit les voix de plus de 40 scientifiques. Il a élaboré des solutions pour un système alimentaire plus durable en Suisse grâce à un regard scientifique global sur les interactions dans le système alimentaire.

Düngen mit Schleppschlauch Matthias Sorg
La politique agricole suisse occulte les défis urgents dans les domaines du climat et de l’environnement au lieu de trouver des solutions avec la rapidité qui s’impose.

Les rouages politiques sont lents

Les messages clairs des scientifiques et de l’administration fédérale sur les changements urgents à apporter à notre mode de vie contrastent fortement avec la lenteur de la politique. Ainsi, l’examen de la politique agricole 2022 (PA 22+) montre à quel point les moulins de la politique continuent de tourner au ralenti. Après le Conseil des États, le Conseil national a lui aussi approuvé, lors de la session de printemps 2023, un mini paquet sur le futur développement de la politique agricole. Les défis urgents dans le domaine du climat et de l’environnement ne sont pas abordés. On a laissé passer l’occasion de renforcer l’orientation écologique de l’agriculture et de l’industrie alimentaire suisses et de consolider leur place sur le marché. La majorité du Parlement continue de nier l’existence d’une crise de la biodiversité et d’une crise climatique, comme si elles n’étaient pas avérées.

Propositions écologiques rejetées 

Le Conseil national, tout comme le Conseil des Etats, a rejeté toutes les propositions visant à améliorer le projet PA 22+ dans le domaine de l’environnement. Au moins n’a-t-il pas limité le droit de recours des organisations, comme le demandait une motion, contre la volonté du Conseil fédéral. Ainsi, la nature et la santé publique ont désormais, au travers des organisations environnementales, une voix ancrée dans la loi sur l’agriculture dans le cadre des processus d’autorisation de pesticides potentiellement dangereux.

Le Conseil national a toutefois refusé d’intégrer la capacité de charge des écosystèmes dans les prestations écologiques requises pour les paiements directs. Il n’a pas non plus voulu ancrer dans la loi des objectifs climatiques pour l’agriculture et l’industrie alimentaire. Et ce, bien que la science montre clairement que la crise climatique met en péril les bases de notre alimentation. L’historienne de l’environnement et collaboratrice scientifique du Centre for Development and Environment (CDE) de l’Université de Berne, Bettina Scharrer, l’explique ainsi dans une interview du CDE :

Kartoffelanbau
«Les problèmes que nous rencontrons avec la crise du climat et de la biodiversité ainsi qu’avec les ressources naturelles se rapprochent d’un seuil où l’on doit s’attendre à des points de bascule négatifs. Cela signifie que la situation se dégradera alors considérablement et deviendrait en partie irréversible, de sorte que la sécurité alimentaire ne sera plus garantie en Suisse et dans le monde.» - Bettina Scharrer, L’historienne de l’environnement et collaboratrice scientifique du Centre for Development and Environment (CDE) de l’Université de Berne

S’adapter aux défis futurs

Avec cette «politique de l’escargot», l’agriculture suisse prend du retard pour s’adapter aux défis de notre époque et pour mettre en place un système alimentaire résilient. Son positionnement sur le marché est affaibli. Les premières victimes de cette politique seront les paysannes et les paysans de notre pays. Il importe déjà peu aux grands distributeurs que la pomme de terre bio de début avril provienne de la récolte suisse de l’année précédente ou de la nouvelle récolte de l’année en cours, ou encore qu’elle soit importée d’Égypte. Les consommatrices et consommateurs ne s’en rendent guère compte, mais le monde paysan suisse le remarquera tôt ou tard si l’exception devient la règle.

Un changement de mentalité est tout de même en train de s’opérer. Les politiques et la plupart des représentants d’intérêts s’accordent à dire qu’une politique agricole et alimentaire sera nécessaire à l’avenir. Les solutions ne doivent pas seulement être visibles sur les terres cultivées, mais aussi dans les rayons des magasins. Depuis des années, l’Union suisse des paysans répète à l’envi que les mesures prises dans l’agriculture ne sont d’aucune utilité pour le climat si la consommation ne change pas. Mais elle ne dit pas comment la consommation devrait changer. La première épreuve de vérité est devant nous. Bio Suisse souhaite prendre sous son label au moins 15 000 hectares supplémentaires. Aujourd’hui, une grande partie des céréales panifiables bio sont encore importées, mais Coop souhaite dorénavant que leur part soit couverte à 100 % par la production suisse. Il appartient non seulement à la politique de poser les bons jalons, mais il faut aussi orienter les producteurs vers les besoins du marché et des consommateurs.

MARCEL LINER est responsable de la politique agricole chez Pro Natura.

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Info

Cet article a été publié dans le Magazine Pro Natura.

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