Wolf im Wald, verfremdet
21.10.2025 Loup, lynx, ours

«Les émotions nous offrent une orientation»

Soucieuse de mieux comprendre la dimension psychologique de la relation entre l’être humain et la nature, la biologiste Brigitte Egger a suivi une formation d’analyste en psychologie des profondeurs. Elle se penche depuis longtemps sur les relations entre les êtres humains et les grands prédateurs comme le loup.

Magazine Pro Natura: la psychologie des profondeurs révèle que nous avons tous en nous, sans en avoir nécessairement conscience, des représentations du loup. Pouvez-vous développer cette idée?

Brigitte Egger: tout comme un embryon reflète les différentes étapes de l’évolution phylogénétique vers l’être humain, il en va de même dans le domaine psychique. Toutes les expériences qui ont marqué les êtres humains ont laissé en nous un socle commun qui conditionne nos comportements et nos idées. C’est ce que l’on appelle les archétypes.

Qu’est-ce qui a façonné la représentation profonde que nous avons du loup?

Pendant longtemps, l’être humain était à la merci des prédateurs et cela nous a profondément marqués. Cette vulnérabilité face à quelque chose de plus grand et de plus fort est une expérience ondamentale, et elle est toujours d’actualité. Sous nos latitudes, le loup était le plus grand concurrent de l’homme. Il est ainsi devenu à la fois une menace et un modèle. Dans d’autres régions du monde, c’est le lion ou le tigre qui occupe cette place.

Ce sentiment de menace profondément ancré est facile à comprendre. Mais comment un animal aussi menaçant peut-il être en même temps un modèle?

Ce qui me menace parce que plus grand, plus fort ou plus rusé que moi soulève la question suivante: comment puis-je être aussi grand et fort? Nous ne sommes pas totalement démunis face à notre destin, nous pouvons en être maîtres. Voilà pourquoi la peur et l’admiration du loup sont étroitement liées. Il s’agit d’un respect entre crainte et vénération. De nos jours, malheureusement, les contraires tendent à la dissociation: nous oublions que marier les opposés est le moteur de la vie et de l’âme, tout comme de la procréation de descendants.

Höhlenmalerei aus der Chauvet-Höhle um 31.000 v. Chr. (Nachbildung) Thomas T./ Wikipedia
Art préhistorique, Chevaux de la Grotte Chauvet 2 en Ardèche, France

Et l’époque est très polarisée, et pas uniquement vis-à-vis du loup.

Tout à fait. À travers le monde et dans de nombreux domaines, nous sommes peu enclins à prendre en considération le point de vue de l’autre, et donc à nous limiter et à changer. Que cet autre soit un opposant au loup, un étranger, la nature ou bien notre âme. Dans le domaine de la protection de la nature, il serait particulièrement important qu’un maximum de personnes cultivent au fond d’elles-mêmes cette union des opposés. Chacun doit s’interroger: de quoi ai-je peur? Quelle position mon adversaire politique défend-il? Et quel pas dans sa direction pour élaborer des solutions?

À partir de quand notre bonne volonté est-elle perçue comme une faiblesse?

Le plus important est avant tout de ne pas se considérer comme faible parce que l’on essaie de comprendre autrui.

Pourrions-nous, les êtres humains «modernes», développer une approche différenciée de nos images intérieures du loup?

Bien sûr! D’une part, nous pouvons verbaliser tout ce qui est associé au loup au fond de nous et chez les autres, y compris la connotation émotionnelle de ces représentations: voracité, impuissance, ruse, intelligence, etc., et nous demander ensuite si nous projetons ces associations sur lui de manière illégitime. D’autre part, nous pouvons puiser des enseignements des représentations culturelles de cet animal. Que représente le loup dans Le Petit Chaperon rouge? Pourquoi la figure du loup-garou est-elle si fascinante?

Qu’est-ce que cela signifie concrètement pour notre gestion du loup?

Nous devons tenir compte des émotions de celles et ceux qui ne partagent pas l’opinion des défenseurs de la nature sur cette question. Et si Pro Natura considère le loup comme un élément central de la bonne santé de la nature, nous devons aussi être prêts à développer et à financer des mesures visant à l’intégrer.

Et pourtant, nous devons serrer les dents lorsqu'un conseiller d’État valaisan tient des propos outranciers sur l’abattage des loups.

C’est affreux, mais c’est pour cela qu’il est crucial d’assumer nos sentiments. Nous avons le droit de dire à quel point l’abattage arbitraire des loups nous fait souffrir. Montrer ses émotions redonne de la force. D'ailleurs, la racine latine «motio» signifie «mouvement». Les émotions nous guident et nous poussent à changer. Nous devons toutefois nous donner la peine de les percevoir et de les nommer, car les émotions refoulées finissent par exploser et rendre tout dialogue impossible.

On entend souvent dire «Vous êtes dans l’émotionnel!» lors des débats sur le loup, des deux côtés d’ailleurs.

Plutôt que de se focaliser sur cette critique, il vaut mieux s’interroger sur ce qu’elle sous-entend exactement. En fin de compte, tout cela montre à quel point nous devons recréer un pont entre réalité psychique et perspective scientifique – une attitude sur laquelle nous devrions tous travailler. Pour Pro Natura, il est important de donner à ses collaborateurs les moyens d’y parvenir.

RICO KESSLER, rédacteur du Magazine Pro Natura

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Cet article a été publié dans le Magazine Pro Natura.

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