Val Cluozza Raphael Weber
17.05.2021 Agir

Silence, s’il vous plaît!

Les moments de tranquillité sont vitaux pour chacun d’entre nous. Pourtant, l’être humain est lui-même un animal très bruyant. Pro Natura s’engage pour que nous puissions avoir accès à des endroits ressourçants, loin du bruit de la civilisation, et pas seulement au sommet des montagnes.

C’est un frais matin d’automne dans le Val Cluozza, le cœur du Parc national suisse. Les abords de la cabane Cluozza sont encore déserts. Une première incursion de l’hiver, quelques jours plus tôt, a saupoudré les sommets environnants de sucre glace. Au fond de la vallée, le torrent sauvage de l’Ova da Cluozza s’écoule vers le Spöl dans un doux murmure. De temps en temps, un oiseau lance un cri qui vient ponctuer le silence. Le brame des cerfs que nous avons entendu ici la nuit précédente résonne encore dans ma tête.

Pendant ce temps, la cabane Cluozza bruit du cliquetis de la vaisselle et du bourdonnement des voix. Le petit déjeuner est prêt. Une heure plus tard, nous sommes en route pour le Murter-Sattel. Le bruissement de l’Ova da Cluozza s’estompe lentement. Le silence unique des montagnes nous entoure. Peut-on entendre le silence? Sur les derniers mètres vers le Murter, nous devons nous frayer un chemin dans la boue et la neige qui fond. Le bruit de ma propre respiration devient le son dominant. De temps en temps, un sifflement déchire l’air. Les marmottes font les derniers préparatifs avant l’hiver. 

A 2545 mètres, nous passons le Murter-Sattel. Nous entrons dans l’univers sonore du Val dal Spöl. Toujours le Parc national, toujours la vie sauvage des montagnes alentour. Et pourtant, nous sommes soudain plongés dans une autre atmosphère. Dans la vallée du Spöl passe la route de l’Ofenpass. C’est un week-end ensoleillé, peut-être la dernière occasion d’une sortie en moto sur la fameuse route en lacets du col de l’Ofenpass. Le bruit des engins motorisés résonne dans le paysage. Après trois jours en pleine nature, c’est un peu le choc. Nous descendons jusqu’à la route, où nous reprendrons le car postal.

Le grand tapis sonore

Le trafic routier constitue de loin la source de bruit la plus importante en Suisse. Selon les chiffres officiels, un Suisse sur sept souffre à son domicile de bruit gênant ou nuisible produit par ce trafic. Sans surprise, le problème touche principalement le Plateau, densément peuplé. C’est ce que montre clairement la carto­graphie du bruit figurant sur le portail de géodonnées de la Confédération. A côté du trafic routier, les travaux de construction, les bruits de tirs, le brouhaha des loisirs, les installations industrielles, entre autres, sont aussi en cause. 

En 2017, le Conseil fédéral a présenté un «Plan national de mesures pour diminuer les nuisances sonores». Cependant, sa mise en œuvre laisse à désirer. Le bruit a même tendance à s’amplifier à de nombreux endroits. Au printemps 2020, la pandémie a brusquement interrompu l’augmentation, apparemment irréversible, du niveau sonore. Tout à coup, nous avons redécouvert la beauté d’un ciel sans avions. Des centaines de milliers de personnes ont pu temporairement être soulagées du bruit de la route. Inversement, durant l’été 2020, les Suisses en quête de détente ont généré beaucoup de bruit et d’agitation dans certains coins de Suisse d’ordinaire plus calmes.

Silence, où es-tu?

Où aller pour trouver du silence, du calme, de la sérénité ? Pas forcément très loin. Sur le Plateau suisse déjà. En 2020, la Fondation suisse pour la protection et l’aménagement du paysage, en collaboration avec l’EPFZ, a présenté une «Tranquillity Map» pour le Plateau suisse. Elle identifie 53 zones avec une grande qualité de tranquillité, selon les critères de l’étude. Les zones de tranquillité sont encore plus vastes et plus nombreuses dans l’Arc jurassien et surtout dans les Alpes. C’est ce que montre la carte de la nature sauvage en Suisse, récemment élaborée par des experts de l’Institut fédéral de recherches sur la forêt, la neige et le paysage (WSL), en collaboration avec Pro Natura et Mountain Wilderness. Cette carte répertorie des zones proches de la nature enclines à devenir de véritables zones de nature sauvage. 

Dans ces zones de tranquillité, on est d’autant moins disposé à supporter le bruit d’activités comme l’héliski, le vol de loisir ou les balades motorisées. Un plaisir pour quelques-uns au détriment de tous les autres. C’est une évidence: les zones de tranquillité ont besoin d’une protection ciblée et juridiquement contraignante contre les nuisances sonores.

Cluozzatal Raphael Weber
Le col de Murter sépare le tranquille Val Cluozza du Val dal Spöl, traversé par la route qui mène au col de l’Ofen.

Protéger et favoriser les zones de tranquillité

Les experts s’accordent à dire que le bruit doit être combattu à la source. Si la plus bruyante de toutes les sources de bruit est le trafic, il faut donc le réduire considérablement. A son tour, le volume de trafic est indissociable de l’aménagement du territoire. Le combat de longue date de Pro Natura contre le morcellement du paysage est donc aussi un combat pour plus de calme et de tranquillité. Notre Initiative paysage, déposée en septembre 2020, le montre particulièrement bien. Elle souhaite mettre un terme à l’étalement urbain, donc à la pollution sonore, dans les zones non bâties.

Pro Natura défend également les zones de tranquillité avec sa campagne «Espaces sauvages – plus de place pour la nature!» ainsi qu’avec ses 700 réserves naturelles et son engagement en faveur des zones de tranquillité pour la faune sauvage. Toutes ces zones si importantes pour les êtres humains et la faune sont autant d’îlots de détente et de communion avec la nature. 

Mais la planification de la protection contre le bruit doit aller au-delà de ces zones de tranquillité, souvent cantonnées à de petites surfaces. On se passerait bien par exemple des 40 places d’atterrissage en montagne où l’on dépose des personnes pourvues d’une conscience écologique discutable pour qu’elles « profitent de la nature » dans un bruit assourdissant. Ces sites d’atterrissage, dont certains sont même situés dans des paysages d’importance nationale, devraient être complètement rayés du plan sectoriel des infrastructures aéronautiques. Cela permettrait d’épargner chaque année à la nature et à nos oreilles plus de 10 000 vols inutiles en hélicoptère. La Suisse est prête à faire ce pas. 

Rico Kessler est rédacteur du Magazine Pro Natura.

Cluozzatal Raphael Weber
Les zones de tranquillité ont besoin d’une protection ciblée et juridiquement contraignante contre les nuisances sonores.

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Info

Cet article a été publié dans le Pro Natura Magazine.


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