Lucelle Raphael Weber
25.03.2022 Eaux

Des perles dans un no man’s land

Les cours d’eau servent souvent à délimiter des frontières. Il n’est pas rare qu’ils s’écoulent dans des endroits de grande valeur écologique, car ces espaces sont souvent délaissés par les pays dont c’est la frontière, et la nature peut donc s’y épanouir librement. Voici une sélection de rivières au riche potentiel environnemental entre la Suisse et la France.

1. La Lucelle: Beaucoup de frontières, et partout la nature

Au milieu de nulle part. C’est ce que l’on peut ressentir sur les rives de la Lucelle – Lützel en allemand. Le tronçon frontalier s’écoule sur une douzaine de kilomètres dans un vallon à peine peuplé et où le soleil ne pénètre guère en hiver. Le paysage se résume à deux éléments : d’une part, il y a cette curieuse « Route internationale », peu fréquentée, qui passe tantôt en France, sur la rive gauche au sens orographique, tantôt en Suisse, sur la rive droite. D’autre part, la nature sauvage partout alentour. La Lucelle serpente à travers de luxuriantes forêts alluviales aux troncs couverts de mousse épaisse. Un vrai paradis pour les castors, qui colonisent actuellement le cours de la Birse et redécouvriront un jour cet affluent.

Le tronçon qui marque la frontière avec la France n’arrose pas moins de trois cantons : le Jura, Bâle-Campagne et Soleure. La rivière traverse ainsi une deuxième frontière, celle des langues, d’où sa double appellation.

Avant d’arriver en France, la Lucelle alimente le lac du même nom, une pittoresque réserve naturelle. La petite localité de Lucelle abritait au Moyen Âge une illustre abbaye cistercienne dotée d’une bibliothèque parmi les plus célèbres d’Europe. Le monastère a été désaffecté et en grande partie détruit pendant la Révolution française, et le petit bourg est tombé dans l’oubli. La frontière traverse aujourd’hui une annexe du cloître, ce qui s’accorde bien avec ce lieu insolite au milieu de nulle part.

Grenzfluesse Karte Pro Natura

3. Le Doubs: Le roi souffrant

C’est le roi des fleuves frontaliers. Sur près de 43 kilomètres, le Doubs marque la frontière avec la France, en grande partie au fond d’une profonde gorge calcaire très peu peuplée, le Clos du Doubs. Il traverse des forêts alluviales sauvages, d’étroits canyons, de larges berges de graviers, des prairies humides couvertes de fleurs, formant des paysages naturels grandioses. Pro Natura gère plusieurs réserves naturelles dans la gorge.

Mais le Doubs est aussi victime de mauvais traitements : eaux usées insuffisamment traitées en provenance des zones d’habitation sur le plateau qui le surplombe, pesticides issus de l’agriculture et de la sylviculture, nombreux barrages – parmi lesquels le monstrueux Châtelot avec ses 74 mètres de hauteur –, la plupart sans cours d’eau de contournement. Ce qui a conduit le Roi du Doubs, espèce de poisson endémique, au bord de l’extinction.

Ces graves problèmes sont connus de longue date. Dans le cas du Doubs, le fait d’être à cheval sur les frontières est à la fois un bienfait et une malédiction. Deux pays, deux cantons et un département se sont refilé la patate chaude pendant des décennies. Il a fallu que Pro Natura et d’autres organisations environnementales portent plainte auprès de la Convention de Berne pour que la situation commence à s’améliorer.

4. Le Rhône: 500 kilomètres avant la fin

Sur la dernière portion de son cours situé en Suisse, le Rhône est comme ailleurs fortement marqué par l’empreinte humaine. En aval du lac Léman, il est par deux fois endigué et en perd sa dynamique. Mais il traverse aussi des paysages pittoresques et irrigue plusieurs zones humides impressionnantes. Raison pour laquelle ce segment du troisième plus grand fleuve de Suisse forme, avec les vallons de ses affluents l’Allondon et la Laire, un des onze sites Ramsar de Suisse.

Avant que le Rhône ne quitte définitivement la Suisse, il longe la frontière sur sept kilomètres. Il lui reste à parcourir 500 kilomètres pour gagner la Camargue et se fondre dans la mer Méditerranée.

5. L'Allondon: Tantôt calme, tantôt turbulent

Dans le reste de la Suisse, on oublie souvent que Genève est bien plus qu’un « canton-ville » et possède également de splendides paysages naturels. Le territoire genevois compte une quinzaine de cours d’eau frontaliers, dont l’Allondon. Sur les deux kilomètres qui bordent la frontière, cette rivière s’écoule dans un vallon sauvage où l’on se croirait à mille lieues de la ville, pourtant si proche.

Lützel
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Informations complémentaires

Info

Photo: 1. La Lucelle © Raphael Weber

Cet article a été publié dans le Pro Natura Magazine.



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