Mülibach Raphael Weber
15.08.2022 Crise de la biodiversité

Interview: «Nous avons besoin de plus d’espaces de rétention naturels»

Le changement climatique exige de repenser complètement notre gestion des eaux, explique Christine Weber, responsable de la section Revitalisation à l’Institut de recherche sur les eaux des EPF (Eawag). Alors que par le passé, le but était que l’eau s’écoule le plus vite possible, il faut aujourd’hui la garder le plus longtemps possible dans le système. Pour cela, des revitalisations de grande envergure sont nécessaires.

Magazine Pro Natura: quand on se demande comment faire pour stocker naturellement plus de carbone, on pense le plus souvent au reboisement. Est-il aussi possible de capturer le CO2 atmos­phérique en revitalisant les cours d’eau?

Christine Weber: beaucoup de personnes pensent que les eaux revitalisées profitent seulement aux organismes aquatiques. Or, les revitalisations réussies ont aussi des effets positifs sur les terres qui bordent les cours d’eau. Une végétation riveraine variée peut y pousser et des formations alluviales à bois tendre s’y développer. Avec de la place et du temps, des forêts alluviales à bois dur voient le jour. Ces phénomènes fixent le CO2 comme lors d’un reboisement.

Les cours d’eau revitalisés se réchauffent-ils moins que les rivières qui sont rectifiées?

Lors des travaux de revitalisation, on enlève d’abord souvent la végétation pour donner de la place aux eaux, ce qui fait que l’exposition au soleil commence par augmenter. Ensuite, une végétation riveraine typique pousse rapidement et apporte de l’ombre. De plus, les eaux revitalisées sont mieux reliées aux eaux souterraines, qui sont plus fraîches. Une mosaïque de structures de profondeurs, de températures et de dynamiques différentes voit le jour, ce qui n’est pas possible lorsque la rivière est rectifiée.

Cette mosaïque offre-t-elle des refuges aux espèces particulièrement touchées par les effets du changement climatique?

Oui, les cours d’eau proches de l’état naturel peuvent mieux réagir aux changements. Leur diversité offre différents biotopes à des espèces aux besoins variés, en particulier à celles qui ne trouvent plus d’habitat dans le milieu uniforme des eaux canalisées. 

Les rivières proches de l’état naturel offrent-elles aussi une meilleure protection contre les événements extrêmes?

Ce point est important: dans les eaux régulées, il n’existe presque pas de refuges en cas de crues ou de phases de sécheresse, par exemple des zones de retrait protégées du courant pour les organismes aquatiques. Cet aspect va gagner en importance avec l’avancement des changements climatiques.

Pour quelles raisons?

Le régime des eaux de la Suisse va profondément changer au cours des prochaines décennies. Les glaciers fondent, la quantité de neige diminue, les fortes précipitations augmentent, tout comme les phases de sécheresse. On aura donc des hivers plus humides et des étés plus secs. Ces dernières décennies, le but était d’évacuer l’eau au plus vite. À l’avenir, nous devrons faire en sorte que l’eau reste mieux dans le système. Nous avons donc besoin de plus d’espaces de rétention naturels, d’une part pour la protection contre les crues, et d’autre part comme réservoirs d’eau en cas de sécheresse.

Le dérèglement climatique va en effet accroître la pression sur l’utilisation de l’eau, puisque certains secteurs en auront plus besoin, par exemple l’agriculture pour l’irrigation ou l’industrie pour le refroidissement. Sommes-nous pris dans un cercle vicieux?

Nos eaux ne sont pas seulement des habitats vitaux, elles jouent aussi un rôle central pour la société en tant qu’espace de loisirs et de détente et ont une importance économique considérable si l’on songe à l’irrigation, à la production d’eau potable et à la protection contre les crues. La loi sur la protection des eaux exige par ailleurs de protéger leur fonctionnement naturel. Avec ses 16000 kilomètres de rivières et de ruisseaux en très mauvais état, la Suisse a ici un immense retard à combler. Ces différents aspects exigent d’avoir une vision d’ensemble dès lors qu’on envisage d’intensifier l’utilisation de l’eau dans certains secteurs.

Cela vaut-il aussi pour l’énergie hydraulique? La pression déjà forte dans ce secteur va encore s’accentuer en raison du changement climatique.

Nos rivières sont déjà intensément exploitées et produisent une part non négligeable de notre électricité. Les changements climatiques vont passablement modifier leur débit et sa répartition annuelle. Il est donc ici aussi important de ne pas privilégier un seul aspect, mais de tenir compte de toutes les prestations importantes fournies par les cours d’eau dans une perspective globale à long terme.

Christine Weber
Christine Weber, responsable de la section Revitalisation à l’Institut de recherche sur les eaux des EPF (Eawag)

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Cet article a été publié dans le Pro Natura Magazine.



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