Sur les rives du lac de Neuchâtel à Yverdon-les-Bains, le Centre Pro Natura de Champ-Pittet est la porte d’entrée du plus grand marais lacustre de Suisse.
Engagé depuis plus de cinquante ans pour la protection de la nature, Pierre-Alain Oggier estime que la Suisse doit voir plus grand et se montrer plus ambitieuse en termes de protection de la nature.
Pro Natura Magazine: Selon vous, la protection de la nature n’est pas assez audacieuse dans notre pays.
En-dessous de 2000 mètres d’altitude, nous avons remplacé la nature par des systèmes de plus en plus maîtrisés et productifs, éliminant progressivement la biodiversité. La protection de la nature semble ignorer que les rares reliques de milieux que nous considérons comme «naturels » – marais, prairies maigres, forêts, zones alluviales, lacs – sont en réalité soit des surfaces agricoles, fauchées, soit des systèmes appauvris par des nivellements, drainages, plantations et autres mesures de régulation. Même les biotopes d’importance nationale n’hébergent aujourd’hui qu’un échantillon partiel de la biodiversité originelle, en effectifs réduits et en déclin.
Nous n’en faisons donc pas assez dans les biotopes d’importance nationale?
Nous nous trompons de méthode. Dans les zones intensément exploitées, nous n’avons plus d’autres choix que d’aménager des microbiotopes standardisés, qu’on entretient tous de la même manière, pour promouvoir une biodiversité minimale décorative. Cette stratégie ne fonctionne pas pour la plupart des espèces, d’autant plus que nous ne connaissons pas leurs besoins spécifiques. Pratiquer ce «jardinage» dans les biotopes d’importance nationale est un non-sens: cela prive la nature de la liberté nécessaire pour exprimer sa diversité complète.
Vous critiquez, par exemple, la gestion des zones alluviales d’importance nationale.
En effet, le rétablissement des conditions naturelles historiques est entravé par différentes législations. Le fait que les marais soient protégés par la Constitution impose de maintenir une digue pour les «protéger» des rivières au grand dam de l’interaction naturelle. Dans certains biotopes d’importance nationale, l’exigence de «conserver intact» sert d’oreiller de paresse pour laisser évoluer «librement» une nature qui a déjà été amputée. Les écosystèmes ayant été fortement endommagés, les cycles naturels ne peuvent pas s’opérer. Ce genre d’approches peut mener à des aberrations, telles que la création d’étangs au sommet des digues.
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Il est normal que la sécurité soit assurée hors des sites protégés, mais la dynamique naturelle doit être rétablie à l’intérieur.
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Pierre-Alain Oggier, biologiste
Existe-t-il une alternative?
Le retour de la biodiversité historique suppose de rétablir au moins partiellement ou d’imiter le chaos aléatoire de la dynamique naturelle. Les accidents naturels (crues, incendies, avalanches) ne respectent ni nos règles environnementales, ni nos critères émotionnels ou esthétiques, mais créent une diversité, rapidement adoptée par la flore et la faune sauvages. Il est normal que la sécurité soit assurée hors des sites protégés, mais la dynamique naturelle doit être rétablie à l’intérieur. À défaut, des ersatz modernes des facteurs naturels doivent prendre le relais comme l’exploitation pilotée des graviers dans certaines zones alluviales ou encore une pâture annuelle diversifiée et extensive, au moins dans nos biotopes d’importance nationale, et leur mise en œuvre doit être facilitée.
Mettre en œuvre une telle stratégie nécessite-t-il de travailler sur de plus grandes surfaces?
Sur le terrain, il faut optimiser les surfaces actuellement protégées: corriger les périmètres dont la forme, souvent dictée par le cadastre forestier, est inadaptée aux objectifs et regrouper les objets éclatés, au besoin par des remembrements parcellaires. Dans le cadre légal contraignant actuel, cela suppose des projets-pilotes tests dérogatoires. Les résultats stimuleront les ambitions et l’adaptation de la législation. Et pour rétablir le dynamisme interne à ces objets, il faut remplacer la planification détaillée, coûteuse et figée, par des objectifs-guides (type et parts de milieux naturels visés) et recourir à une exécution par étapes s’adaptant aux réponses de la flore et de la faune.
Interview: Tania Araman, rédactrice du Magazine Pro Natura.
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Cet article a été publié dans le Magazine Pro Natura.
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