Deux loups rôdent sur une pierre dans la forêt Shutterstock/Nadezka Murmakova
02.01.2019 Crise climatique

«J’ai cet instinct de prédation en moi»

Le biologiste qui se bat avec ferveur en faveur du loup en Suisse est un chasseur et un berger. Au cours d’une balade sur le territoire du loup, David Gerke nous explique pourquoi, selon lui, ces différentes casquettes ne sont pas contradictoires.

Trois ans après, il se souvient encore de l’arbre. David Gerke se tient devant le petit mélèze où il avait découvert pour la première fois des traces d’urine de loup, dans la région d’Augstbord, en Valais. Un arbre vers lequel l’avaient mené des empreintes dans la neige. Grâce à l’analyse génétique des échantillons d’urine, on a pu prouver qu’un couple de loups s’était formé pour la première fois en Valais, et s’était reproduit.

En Valais, le canton qui compte les opposants au loup les plus virulents. En tant que président du Groupe Loup Suisse, David Gerke a déjà essuyé de nombreuses agressions verbales, y compris des menaces de violence. «Certains jours, j’aurais préféré être transparent», admet le jeune homme de 33 ans, «par exemple, lorsque je suis allé évaluer la situation sur le terrain après l’attaque d’un troupeau de moutons par un loup». Mais à d’autres occasions, il s’est montré plus combatif, a tenu à marquer sa présence avec confiance et surtout à montrer qu’il y avait des solutions.

Des solutions telles que des clôtures de protection, des chiens de protection des troupeaux et le transfert du troupeau dans un enclos pendant la nuit. Des solutions dont David Gerke a fait lui-même l’expérience. En effet, depuis dix ans, il passe chaque été plusieurs mois dans les Alpes comme berger, toujours accompagné de sa chienne Mila, une Border Collie très bien dressée, qui nous escorte aujourd’hui, tous sens en alerte.

Un chasseur à l’instinct de prédation

Cette activité de berger lui apporte compétence et crédibilité dans le débat sur le loup. On ne peut reprocher à ce Soleurois d’être un écologiste déconnecté n’ayant aucune idée des préoccupations de la population locale. Par ailleurs, David Gerke est aussi chasseur. Pas par calcul, comme il le fait remarquer. Car même dans les milieux de la chasse, il est parfois en butte à l’hostilité, certains collègues le considérant comme un traître. «Mais j’ai cet instinct de prédation en moi», reconnaît David Gerke sans détours. Et il tient à se nourrir avec la viande qu’il peut se procurer lui-même. «Mais la proie peut aussi être une simple observation, une photo ou même une trace.»

Lors de notre randonnée au pied de l’Augstbordhorn, nous trouvons de nombreuses traces dans la première neige de l’hiver: cerfs et chevreuils ont laissé des marques de leur passsage dans cette blancheur. Il y a aussi des lièvres et des renards, dont les empreintes peuvent être confondues au premier regard avec des traces de loup.

Plus près qu’on ne le pense

Soudain, le regard de David Gerke se fige : «Ici, il s’agit très probablement d’un loup.» Taille des pattes, empreinte, grandeur des pas – tout concorde. De plus, le loup s’est déplacé sur la route forestière et ne l’a pas simplement traversée comme la plupart des autres animaux. «Typique d’un loup», analyse Gerke. Ces animaux parcourant souvent de longues distances, ils se servent volontiers des infrastructures humaines.

Pourtant nous, les humains, voyons rarement Isengrin. David Gerke est obligé de sourire quand il voit les esprits s’échauffer après qu’un loup a été aperçu. Car il a appris à connaître les déplacements des loups et il sait qu’ils sont souvent beaucoup plus près de la civilisation qu’on ne le pense. Plus de 100 fois, un loup a été surpris par un de ses pièges photographiques, parfois seulement une heure après que l’appareil photo eût été installé. Les loups sont là, mais silencieux et prudents, ils évitent l’homme.

«Les loups peuvent facilement vivre dans des régions plus densément peuplées qu’ici», explique notre homme en jetant un regard aux vallées qui partent de la plaine du Rhône. A cet effet, il est essentiel de maintenir la distance naturelle entre le loup et l’homme.

Le loup du val Bregaglia

La relation entre le loup et l’homme absorbe David Gerke depuis maintenant 18 ans, lorsque le loup du val Bregaglia a brusquement fait son apparition. Il a suivi les traces de l’animal et, après que le loup eût été abattu, il est resté convaincu qu’il devait y avoir des moyens de garantir l’existence de grands prédateurs, même en Suisse.

En 2019, David Gerke reste confiant et persuadé que nous pourrons atteindre cet objectif, même si les loups devaient être chassés dans le futur. Aujourd’hui, environ 100 meutes de loups vivent dans l’ensemble de la région alpine, leur migration en Suisse se poursuivra et il existe encore de nombreux habitats appropriés. Même en Valais, de plus en plus de gens réalisent qu’on doit s’accommoder de la présence du loup, qu’on y soit favorable ou non. Le hasard a voulu que le délai d’autorisation pour abattre deux loups dans le canton du Valais a expiré sans suite le jour de notre randonnée. Pour Gerke, c’est là la preuve qu’ «on ne peut plus résoudre le supposé problème par l’intimidation et par les armes.»

RAPHAEL WEBER,  rédacteur en chef Pro Natura Magazine, Photo: Charly Gurt

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Cet article a été publié dans le Pro Natura Magazine.

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